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Entretien avec Sarah Bouyain

par Michel Amarger

 


Le titre, Notre étrangère, met-il en valeur le sujet du film ?

Le titre fait sens mais il peut être envisagé de deux points de vues assez différents : pour la jeune femme qui part au Burkina, ce qui ressort, c’est vraiment la question d’être étrangère.

Pourquoi ne pas poser les personnages et leurs rapports dès le début ?

Dans les films familiaux, on ressent souvent le besoin de brosser un arbre généalogique et c’est souvent fait avec plus ou moins de légèreté... On a essayé d’épurer le scénario autant que possible par rapport à ça. Au montage aussi, il y avait des séquences plus explicatives. Le film est par- fois assez silencieux. Il y a des moments par contre où il est très bavard. Dès l’écriture, on ne voulait pas que les moments de parole servent à donner des informations. On voulait un bavardage qui soit plus musical. Quand les gens parlent, ils ne disent pas des choses clés. Ce qu’ils ont à dire, ce que le spectateur doit sentir, passe par autre chose.

Quant à Mariam, elle est étrangère à elle-même, d’une autre façon. Elle est restée en suspension avec une histoire qui n’est pas réglée. Pour moi, le film traite de la question d’être étranger : étranger à soi-même, étranger quelque part. C’est ce petit décalage qui existe entre soi et les autres, ceux qui sont autour de nous.


Dans le film, ne faites-vous pas une opposition entre deux mondes ?

Ils sont très éloignés l’un de l’autre mais il n’est pas impossible de les lier. Il y a des lieux-liens. Par exemple, lorsque Amy arrive en Afrique, on ne sent pas la rupture. Elle est chez un tailleur et c’est quand elle sort avec lui pour aller à moto chez sa tante, qu’on peut être sûr qu’elle est au Burkina et pas en France. Il y a aussi le foyer que la mère, Mariam, partage avec sa colocataire. C’est un lieu un peu entre les deux. Donc pour moi, il y a quand même des ponts, des liens formels entre ces deux mondes. Surtout ils existent dans la tête des personnages. Cette jeune fille a toujours pensé à l’Afrique parce que sa mère y était. Sa mère a toujours l’Afrique en tête parce que c’est le lieu de son passé, de la séparation avec sa fille. C’est vrai que c’est un lien douloureux parce qu’il est de l’ordre de la nostalgie, mais il existe. Ce qui lie les gens, c’est aussi la famille, l’amour des uns envers les autres.

Dire / Suggérer

Mère/Fille

Dans le film, la mère est à distance du Burkina, de sa fille, de ce qui l’entoure. Pourquoi insister sur sa solitude ?

Elle est seule parce qu’elle trimballe des choses qui ne sont pas résolues. Le film parle aussi de la capacité de chacun à s’intégrer ou non. Je trouvais intéressant d’avoir un parallèle avec sa colocataire malienne. Elle est en France, elle est étrangère mais elle s’est construit un «chez elle». Dans sa chambre, il y a des posters. Elle communique avec d’autres, on la voit téléphoner. Elle a une vie alors que Mariam non. Mariam a choisi de rester dans un no man’s land, peut être pour se punir. Peut-être qu’elle culpabilise de tout ce qui s’est passé avec sa fille. C’est une impossibilité à être dans le présent, à être là où elle est, en France. C’est quelqu’un qui s’interdit d’en profiter. L’actrice amène aussi cette dimension.

Vous semblez ouvrir quelque chose par la relation qui se noue avec Esther, à qui elle enseigne le dioula. Pourquoi l’interrompre d’un coup ?

Mariam y a vu l’occasion de s’échapper vers autre chose. C’est aussi une forme de reconnaissance. Tout à coup, elle a une relation avec une personne blanche en France, différente de ce qu’elle connaît d’habitude. Esther l’entraîne à comprendre qu’elle possède quelque

Communiquer / Intérioriser

La communication passe aussi par la langue dioula, parlée dans une partie du Burkina. La mère l’apprend à une femme blanche alors qu’elle n’a pas été transmise à sa fille. C’est une fracture supplémentaire ?

L’idée de départ du film était l’apprentissage de cette langue. C’est resté comme une manière de montrer les problèmes de communication. La langue maternelle est un symbole fort. Valérie Loiseleux, la monteuse du film, regrettait qu’on ne sous-titre pas certaines parties des choses dites, par exemple au moment de la dispute entre Amy et sa tante. On sent que c’est dur par le ton des actrices mais on ne sait pas ce qui se dit si on ne parle pas dioula. Du coup, le spectateur est vraiment dans la situation de Amy. Il y a des gens qui ne vont pas comprendre les mêmes choses dans le film. Mais l’essentiel peut quand même être perçu parce que l’essentiel n’est pas que culturel. On joue sur deux registres. Le culturel, c’est ce qui fait que Amy se sent étrangère. Par exemple, elle est perçue comme une Blanche par les chauffeurs de taxi burkinabés qui lui demandent plus d’argent. C’est un héritage de la colonisation. Mais le problème de fond, c’est un problème d’individu. Son histoire familiale aurait très bien pu être vécue dans une famille franco-française.

Jouer / Regarder

Pourquoi privilégier autant les plans fixes pour suivre Amy ?

Je n’aime pas le fait qu’on décrive un lieu par un mouvement, comme une sorte de préambule indiquant où l’on est. Le décor principal, la maison où l’on a tourné à Bobo-Dioulasso, est une maison dans laquelle j’ai vécu en vacances, avec ma grand- mère. J’ai le souvenir d’être assise, qu’il ne s’y passait rien, que rien ne bougeait même si j’ai aussi beaucoup parlé avec ma grand-mère. J’en ai une sensation très statique. Elle est posée. Cela nous a frappé quand on a fait les mises en place avec les actrices. La fixité du cadre permet aussi de voir Amy qui bouge beaucoup. Elle va et vient.

Dorylia Calmel par R. Bellec

Blandine Yaméogo par R.Bellec

Les actrices ont-elles été choisies en fonction de ces élans ?


Dorylia Calmel, qui interprète Amy, a plus souvent joué au théâtre qu’au cinéma. Par ailleurs, sa pratique du trapèze lui donne de la puissance, de la nervosité. Mais elle a un jeu qui peut sembler plus sobre que celui de Blandine Yameogo, la tante. Comédienne et danseuse, Blandine nous a ému pendant le casting par sa présence. Le jeu d’Assita Ouedraogo qui est Mariam, est encore différent. Je me rappelais d’elle dans La promesse et elle a été là depuis le début. C’est quelqu’un qui a une présence assez forte et assez dure. Il y a quelque chose d’assez singulier dans son corps très élancé, presque à la limite du réalisme... Quand on regarde Assita Ouedraogo dans le film, on voit d’abord une solitude avant de voir une femme africaine.

Composer / Filmer

Le film a-t’il beaucoup évolué entre le projet de départ et le tournage ?

Au début, c’était plutôt un film sur la langue qui était au centre de l’histoire. Et puis il y a eu un glissement progressif vers quelque chose de plus autobiographique. Je n’avais pas conscience que c’était un film qui empruntait autant d’éléments à ma vie et à celle de ma famille.

La fiction vous ramène à votre réalité ?

Ma démarche est proche d’une forme d’autofiction. J’utilise beaucoup ce que je vis pour raconter des histoires et du coup, parfois je me pousse à vivre certaines choses pour pouvoir les raconter. Il y a ce va et vient plus conscient aujourd’hui. De manière générale, la question du métissage et celle de l’entre-deux, sont des questions importantes et graves. Le monde ne cesse de bouger et de prendre des formes différentes. Les distances géographiques sont de moins en moins un obstacle mais les distances entre les gens demeurent. Les clivages sociaux et économiques qui souvent rejoignent les clivages Nord/sud et Blanc/Noir entravent la communication et la compréhension. Tout cela crée des frictions.... Du coup, le métissage, qui vient littéralement et salutairement brouiller les cartes, reste un sujet auquel il faut continuer de réfléchir.

chose. Elle a un savoir, elle possède une langue. Ca lui ouvre une fenêtre qu’elle n’avait pas pensé à ouvrir. Mais ça la ramène aussi à la question de sa fille.

Lors des discussions entre les personnages, on remarque une certaine théâtralité. Est-elle recherchée ? Pour la scène de la dispute entre Amy et sa tante, par exemple, on sent que la tante a l’habitude de manier la parole, et à côté, Amy qui n’a pas l’habitude d’avoir ce genre de discussion ni les gestes qui vont avec. La tante est dans une théâtralité maîtrisée parce que c’est comme ça que l’on se dispute au Burkina. Amy fait ce qu’elle peut.

Peut-être qu’on ne se dira pas en la voyant, qu’elle est triste parce qu’elle est loin de son pays, qu’elle est sans papiers, qu’elle fait des ménages...

Nathalie Richard et Assita Ouédraogo, photo extraite du film.

Seydou Gueye et Assita Ouédraogo, photo extraite du film

Nadine Kambou Yéri par R. Bellec

Assita Ouédraogo par R. Bellec